Type et date de soutenanceSoutenance de thèse

La démocratie à l'épreuve du calcul. Une critique des mathématisations de la décision collective

Antoine Houlou

Résumé

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Certaines mathématisations des procédures de décision collective ont la particularité remarquable d’être utilisées pour penser la nature de la démocratie. C’est le cas du théorème de possibilité d’Arrow, résultat majeur de la théorie du choix social, utilisé pour établir une critique de la conception rousseauiste de la démocratie. C’est également le cas du théorème du jury de Condorcet et des théorèmes de la diversité de Hong et Page, résultats les plus importants de la théorie épistémique de la démocratie, invoqués pour défendre la démocratie comme le processus assurant la meilleure qualité de la décision.  Or, si la décision collective et ses processus sont importants en démocratie, la démocratie ne peut se résumer à son processus de décision, en particulier à la règle électorale qu’elle mobilise. C’est pourquoi nous avons analysé ces différents résultats sous un double angle : la valeur des mathématisations de la décision collective et la possibilité d’en déduire des résultats sur la démocratie. En analysant l’histoire des principales approches mathématiques du vote (Raymond Lulle, Nicolas de Cues, Borda, Condorcet, Dodgson, Black, Arrow, May), nous montrons qu’il n’existe pas une unique manière de mathématiser le vote (dont la théorie du choix social serait l’aboutissement) mais plusieurs, menant à des conclusions différentes. Les cycles de Condorcet-Arrow peuvent être considérés comme des indécidables de la théorie de la maximisation mais non comme des éléments décisifs pour penser la nature de la décision collective ni la prétendue irrationalité de la démocratie. Nous analysons également les différents types de critères possibles pour évaluer une procédure, dont certains se révèlent aporétiques.  Nous reconstituons la conception que Condorcet avait de son théorème du jury, et montrons qu’on peut en trouver un énoncé équivalent chez Marsile de Padoue et Nicole Oresme. Nous en proposons une réécriture conforme à la pensée du Condorcet tardif – qui illustre un mécanisme de la théorie délibérative de la démocratie. Le théorème du jury (dans son énoncé moderne) est non pertinent pour la décision collective mais pertinent pour des situations de mesure collective. Nous montrons qu’il s’appliquer par exemple à la détermination d’un nouveau site par les abeilles. Quant aux théorèmes de Hong et Page, nous montrons qu’ils sont mal construits, mal interprétés par leurs auteurs et non pertinents pour la décision collective.   L’un des points-clés de la non pertinence des différentes mathématisations réside dans la conception de la rationalité. La conception instrumentale ne permet pas de modéliser correctement la décision et le choix car elle ne tient pas compte de la multiplicité et de l’incommensurabilité des fins ni de la possible respécification des fins. En revanche, la conception d’une rationalité pratique, à partir d’Aristote, y répond parfaitement. L’hypothèse de transitivité des préférences et le théorème d’Arrow ne sont ainsi pas pertinents pour la décision collective. La conception d’une rationalité pratique permet également d’expliquer la rationalité de certaines situations comme le paradoxe d’Allais.  Ainsi, lorsqu’une mathématisation de la décision collective aboutit à un résultat (théorème, propriété, paradoxe…), il faut se poser trois questions : 1. la mathématisation est-elle correcte, tant du point de vue de la traduction mathématique des propriétés retenues de l’objet étudié, que du point de vue de la justesse technique de la construction mathématique ? 2. ce résultat révèle-t-il une mauvaise conception (non mathématique) de la décision collective ? 3. si les réponses aux questions 1 et 2 sont négatives, alors que nous apprend ce résultat concernant la décision collective ?  Enfin, l’analyse mathématique de la procédure de décision collective ne permet pas de tirer des conclusions sur la démocratie ni, de façon plus générale, sur l’institution qui utilise cette procédure.

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Jury

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  • M. Philippe Urfalino (Directeur de thèse), EHESS
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  • Mme Antoinette Baujard, Université Jean-Monnet de Saint-Etienne
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  • M. Yves Deloye, Sciences Po Bordeaux
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  • M. Thierry Martin, Université de Franche-Comté
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  • Mme Stéphanie Novak, Universita Ca’Foscari
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  • M. Pasquale Pasquino, New York University
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