Type et date de soutenanceSoutenance de thèse

La légende dispersée de l'affaire Chevron en Equateur : le pari manqué de la transnationalisation des droits de l'homme et de l'environnement (1993-2020)

Sunniva Labarthe

Résumé

,

Pollué à l’époque des opérations de la compagnie pétrolière américaine Texaco aux confins de l’Amazonie équatorienne, condamné au bénéfice de Chevron par des tribunaux d’arbitrage international, l’Équateur semble à ce jour être sorti grand perdant de ce recours historique et transnational au droit, alimenté par toute une variété d’acteurs privés depuis 1993 et baptisé généralement « l’affaire Chevron ». Un recours au droit unique en son genre de par sa durée, par l’ampleur de ses enjeux économiques, financiers et politiques mais aussi sa complexité procédurière du fait de son caractère transnational, la densité de sa documentation écrite, ses rebondissements infinis et le nombre de ses protagonistes. Derrière le constat de cette revictimisation emblématique de ce petit pays d’Amérique Latine par la voie du droit international des cours d'arbitrage commercial, s’impose la nécessité d’une approche socio-historique de ce processus judiciaire qui associe l’étude de la défense internationale des droits de l’humain et de la nature, à l’évolution de la vie politique équatorienne et au développement du marché international des services juridiques. En édifiant un précédent négatif pour l’ensemble des parties, la greffe du litige judiciaire nord-américain dans le contexte des mouvements sociaux en Équateur, puis son transport devant plusieurs instances juridiques à l’étranger, interrogent au concret les conditions de possibilité et les perspectives de la judiciairisation des grandes catastrophes socio-environnementales indissociables du modèle de développement extractiviste en Amérique Latine. Concentrée sur l’affaire Chevron dans son contexte équatorien d’où part l’enquête générale de cette thèse en sciences sociales qui a débuté en 2013, cette analyse a pour objet central le rapport des acteurs transnationaux, des avocats en l’occurrence, aux organisations sociales et à l’État équatorien, à travers leur représentation des intérêts des victimes de la contamination pétrolière. Une analyse qui tend à démontrer que si l'affaire a accompagné les dynamiques des mouvements sociaux indigène et écologiste qui s'en sont emparés de diverses manières, c'est au niveau des logiques des principaux  8 « avocats activistes » nord-américains, dont des entrepreneurs pionniers à la fois de l'industrie du poker et de la finance des litiges, que se comprend l'évolution de ce processus judiciaire transnational. Imaginé à partir de principes et d'outils juridiques tirés du droit des États-Unis ce recours à la justice a été conçu, alimenté et défendu par ses inventeurs comme une forme d'activisme à but lucratif : un business model pour la défense des droits de l'homme et de l'environnement. Contourner le problème de la coresponsabilité de l’État équatorien au niveau procédural, puis obtenir la faveur du gouvernement sur le plan politique, voire son intervention sur le procès en vue d’une récompense économique extraordinaire : telle a été leur stratégie relevant d'une conception à la fois mercantile, financiarisée et spéculative du droit. De la ruée vers l’or noir de Texaco en Amazonie au cours des années 1960, à l’extra-activisme des spéculations internationales des années 2000-2010 sur le filon de la sentence multi-milliardaire des tribunaux équatoriens contre Chevron, l’exploitation industrielle de la nature et des peuples indigènes en Amérique Latine évolue avec son temps. Le « néolibéralisme progressiste » des défenseurs légaux autoproclamés des victimes équatoriennes a su mobiliser un temps les ressources du « populisme de gauche » de la Révolution Citoyenne de Rafael Correa Delgado (2007-2017). Et du point de vue de ces recherches, c'est ce pari commun qui a échoué contre l'une des têtes de pont de l'industrie du pétrole, sur le terrain du droit et des affaires.

,

Jury

,
    ,
  • M. Gilles Bataillon (Directeur de thèse), EHESS
  • ,
  • M. Gerardo Damonte, Universidad Catolica del Peru
  • ,
  • Mme Manuela Picq, Amherst University
  • ,
  • Mme Carmen Salazar-Soler, EHESS
  • ,
  • M. Dominique Vidal, Université Sorbonne Nouvelle
  • ,
Partager ce contenu