Rwanda, 30 ans après le génocide

Ijoro ribara uwariraye : « seul celui qui a traversé la nuit peut la raconter ». Mais comment raconter l’effroyable : la perte, en moins de trois mois, des trois quarts de la population tutsi du Rwanda ? Du 7 avril au début du mois de juillet 1994, un million de victimes périrent au cours d’une campagne de massacres orchestrée par le pouvoir et relayée à tous les échelons de la société rwandaise. Ce meurtre de masse a ceci de particulier qu’il est à la fois le dernier génocide du XXe siècle et le premier « génocide de proximité », où bourreaux et victimes étaient des voisins. Sa reconnaissance tardive par une communauté internationale, demeurée largement passive, a favorisé l’enclavement de cette extermination, au cours de laquelle les victimes, stigmatisées, furent non seulement massacrées, mais massacrées dans une débauche de pratiques de cruauté.

Aujourd’hui, alors que le monde s’apprête à commémorer le 30e anniversaire du génocide des Tutsi du Rwanda, il s’agit d’entendre, pendant qu’il en est temps encore, la parole des rescapés, qui souvent cohabitent, dans un fragile équilibre, avec les tueurs ou les familles des tueurs. Il s’agit aussi, pour les spécialistes de sciences sociales, pour les historiens plus particulièrement, de poursuivre inlassablement le travail de mémoire en s’appuyant sur les témoignages et les archives afin de mieux saisir les caractéristiques de ce génocide qui ne cesse d’interroger les Etats, les organisations internationales, les simples citoyens. Nous-mêmes, en somme.

Plusieurs chercheuses et chercheurs du CESPRA ont investi ce terrain de recherche, affirmant ainsi l’indispensable attention des sciences sociales à l’expérience des victimes et des survivants dans le processus d’écriture de l’histoire du génocide des Tutsi. Juliette Bour, doctorante sous la direction de Stéphane Audoin-Rouzeau et actuellement en fin de thèse, utilise le prisme des études de genre pour étudier le « rôle des femmes de pouvoir » dans les massacres. Louis Laurent, également doctorant (avec le même directeur), s’intéresse au génocide à Kigali, c’est à dire à la dimension urbaine du massacre, qui a concerné aussi l’opposition politique, liquidée dès la soirée du 6 avril. Magnifique Neza, quant à elle, sous la direction de Richard Rechtman, propose une enquête sur la santé mentale au Rwanda après le génocide. Violaine Baraduc, qui a soutenu sa thèse d’anthropologie en 2023 – thèse dirigée par Jean-Paul Coleyn et Stéphane Audoin-Rouzeau – a enquêté sur un groupe de femmes génocidaires du Rwanda : une partie de cette thèse, qui a trait à l’infanticide génocidaire, vient d’être publiée aux éditions du CNRS. Avec le travail de Timothée Brunet-Lefèvre, dirigé lui aussi par S. Audoin-Rouzeau et soutenu en 2023 également, c’est la scène judiciaire qui est au centre du travail, à travers l’étude du procès d’assises, à Paris, en 2016 et 2018, de deux anciens bourgmestres de la commune Kabarondo, Octavien Ngenzi et Tito Barahira.

Après avoir recueilli dans un ouvrage récent les « paroles orphelines » du génocide, Hélène Dumas a coordonné le travail de classement, d’inventaire et de numérisation du fonds d’archives de l’association Ibuka visant la préservation du patrimoine archivistique des rescapés du dernier génocide du XXe siècle. François Robinet, actuellement en délégation au Cespra, étudie, en prévision de son HDR, la question de la relation franco-rwandaise depuis les années 1970 jusqu’aux années 2010. Citons également l’important rapport de Vincent Duclert sur la politique française au Rwanda, repris  et enrichi dans un livre récent : un rapport qui a inspiré le tournant radical de la politique étrangère française à travers le discours prononcé par le président de la République à Kigali le 27 mai 2021, au cours duquel le Président a reconnu la responsabilité de notre pays dans la catastrophe. Stéphane Audoin-Rouzeau, enfin, dans un livre collectif, revient avec d’autres auteurs sur le « choc » qu’a provoqué cet événement en orientant le travail d’écriture, la recherche, la création, et jusqu’aux modalités de l’engagement dans la Cité.

Les chercheures et les chercheurs du CESPRA sur le génocide au Rwanda


A venir...


Le génocide des Tutsi du Rwanda 30 ans après - Nouvelles perspectives de recherche

Journée d’études sur le 30e anniversaire du génocide des Tutsi au Rwanda coorganisée par Timothée Brunet-Lefèvre (chercheur associé au CESPRA), Juliette Bour, Louis Laurent et Magnique Neza (doctorants au CESPRA).

9h00-17h00

Campus Condorcet, Centre de colloques,

28 mai 2024.

Les moments forts de la 30e commémoration


Ressources générales sur le génocide des Tutsi au Rwanda


Et aussi...


Accueil en septembre 2021 d’une délégation rwandaise composée de rescapés du génocide des Tutsi de 1994 : numéro spécial de la Lettre du CESPRA
Rwanda, 30 ans après le génocide : numéro hors-série de la Lettre du CESPRA